Le blues au coeur des musiques actuelles

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Après la guerre, les Noirs d’Amérique prennent de plus en plus conscience qu’ils sont des citoyens à part entière de leur pays. Ils vont se mettre à revendiquer l’égalité raciale : le Mouvement pour les droits civiques, emmené par la figure charismatique de Martin Luther King, sera accompagné d’une perte de prestige du blues, parole de l’homme seul, à la merci de son destin. Il ne résistera pas face aux aspirations nouvelles qui vont, avec la musique soul, inventer la bande-son de la lutte pour l’intégration. Renvoyé au patrimoine par sa propre communauté d’origine, le blues deviendra universel et nourrira toutes les musiques populaires qui émergeront à partir des années 1960.

Pendant la seconde guerre mondiale, les Noirs d’Amérique ont versé leur sang pour leur pays et la démocratie et, surtout, ils ont voyagé avec les forces armées dans des contrées où la ségrégation n’existe pas. Décidés à revendiquer une juste place au sein de l’Amérique, ils vont, à travers le Civil Rights Movement, faire abolir les lois Jim Crow en 1964. Entré dans l’histoire à travers Rosa Parks refusant, en 1955, de céder sa place à un Blanc dans un bus à Montgomery et déclenchant un gigantesque boycott des transports en commun ou Martin Luther King scandant « I have a dream » en 1963 devant la Maison Blanche, émaillé d’émeutes et de drames, porteur d’un immense espoir d’intégration et de réussite sociale, cette lame de fond va entraîner l’abandon du blues et du passé douloureux et se tourner vers le gospel, musique de la communauté rassemblée vers un objet unique. Ainsi va émerger la nouvelle musique populaire noire américaine, la « soul », qui sera le fait d’une nouvelle génération d’artistes pénétrés de pratiques religieuses dans leur environnement familial (Aretha Franklin, Marvin Gaye, Wilson Pickett, Ray Charles, Sam Cooke, James Brown, etc.). La « musique de l’âme » se déclinera en « funk » à partir de la fin des années 1960 et alimentera les débuts du hip-hop au milieu des années 1970.

Les monstres sacrés du blues (BB King, JL Hooker, Lightnin’ Hopkins, Buddy Guy…) continueront à se produire, surtout hors de États-Unis, invités par des Européens fascinés par leur musique, mais peu de nouveaux artistes noirs émergeront à partir des années 1960 (hormis Jimi Hendrix qui transcendera le blues dans la nouvelle culture du rock psychédélique). La relève viendra des Blancs, américains pour certains (Johnny Winter, Stevie Ray Vaughan, Canned Heat), mais surtout anglais qui, autour du pub d’Alexis Korner à Londres, vont donner naissance à une nouvelle génération rock : Mick Jagger, Keith Richards, Eric Clapton, John Mayall, Jimmy Page et bien d’autres. Ce « British Blues Boom » donnera naissance à une pléiade de groupes planétaires (The Rolling Stones, The Yardbirds, Them…) dont certains (Cream, Led Zeppelin) donneront naissance à la nébuleuse hard-rock, première marche vers les musiques extrêmes regroupées aujourd’hui sous l’étiquette « rock metal ».

Aujourd’hui, le blues est toujours présent dans les sources d’inspiration d’artistes majeurs du rock (White Stripes, Black Keys…), et des films de réalisateurs consacrés (Martin Scorcese, Clint Eastwood, Wim Wenders) célèbrent son histoire et sa présence encore vivante dans notre culture. Curieuse destinée, donc, que celle du blues, né dans les champs de coton du Sud et qui a enfanté pratiquement tous les courants qu’on regroupe aujourd’hui sous le terme de « musiques actuelles », signant ainsi, à travers l’art et la culture, la revanche de l’esclave sur le maître.

Texte : Gaby Bizien / Blues sur Seine. Tous droits réservés