Blues, migrations et errances

Blues, migrations et errances Itinéraires thématiques

À partir de la première guerre mondiale, de nombreux Noirs quittent le Sud pour trouver du travail dans les villes industrielles du Nord. Cette migration va transformer la structure sociale de la communauté afro-américaine et déboucher sur la constitution de ghettos dans les grands centres urbains des États-Unis. De cette instabilité, naîtront certains archétypes à l’oeuvre dans les paroles de nombreux blues : les transports et notamment le train, dont le « shuffle », ce rythme ternaire appuyé du blues urbain, est le miroir, la figure du « hobo », le vagabond toujours en mouvement, celle du « backdoor man » qu’on craint de découvrir chez son aimée de retour de voyage ou la douceur du foyer retrouvé.

Ces migrations sont encore à l’oeuvre aujourd’hui, mais c’est entre 1920 et 1950 qu’elles vont culminer. La population noire s’urbanise, tout d’abord dans la mégalopole du Nord-Est (de Boston à Washington en passant par New-York, Philadelphie, Baltimore), dans les centres industriels des Grands Lacs (Chicago, Detroit) et dans la vallée du Mississipi-Missouri-Ohio (St Louis, Kansas-City, Indianapolis) puis, pendant la seconde guerre mondiale, dans l’Ouest où se développent les chantiers navals et l’aéronautique (Los Angeles, Seattle). En effet, dès le début du XXème siècle, les villes du Nord manquent de main d’oeuvre alors que le sud rural se voit confronté à une crise importante qui réduit les possibilités de trouver du travail.

À la différence du Sud, la ségrégation n’a aucun socle légal dans le Nord et dans l’Ouest, mais les Noirs vont se regrouper dans les quartiers auxquels leurs bas salaires d’ouvriers non-qualifiés ou de gens de maison vont leur permettre d’accéder : Harlem à New York, le South Side à Chicago, Watts à Los Angeles. Certains parviendront à prendre l’ascenseur social pour constituer une classe de salariés de laquelle émergera une middle-class noire après la guerre, d’autres subiront de plein fouet la crise économique des années 1930 avec son chômage chronique. Mais les choses ont changé avec la sortie de l’apartheid sudiste. Les premières émeutes raciales sont accompagnées par le développement de nouvelles formes de blues, plus urbaines, que l’Amérique va découvrir grâce à la croissance de l’industrie du disque et de la radio.

Le blues commence à s’urbaniser dans les théâtres nouvellement construits dans les grandes villes des États-Unis dès les années 1920, porté par les grandes dames du blues classique (Bessie Smith, Ma Rainey, Mamie Smith), héritières des minstrels et accompagnées par les grands musiciens de jazz de l’époque. À Chicago, dans les bars clandestins tenus par les parrains de la prohibition, les jazzmen de la Nouvelle Orléans et les pianistes de boogie-woogie proposent, quant à eux, leur nouvelle interprétation du blues. C’est à la fin des années 1930 que Chicago va devenir la capitale du blues avec l’arrivée de musiciens du Sud dans les studios et les clubs (Big Bill Broonzy, Tampa Red). Le grand centre urbain du Nord est prêt à accueillir la révolution électrique qui va transformer profondément le blues.

Texte : Gaby Bizien / Blues sur Seine. Tous droits réservés