Blues et métissage

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Coupées de leurs fonctions sociales et spirituelles, transfigurées par la censure, moquées par les maîtres, les cultures africaines vont s’approprier des pans entiers des musiques et des danses apportées par les immigrants d’Europe. La construction d’une expression autonome de la communauté noire va ainsi s’élaborer, tout au long du XIXème siècle, dans l’effervescence du peuplement progressif des États-Unis.

Avant l’émancipation, les échanges culturels sont monnaie courante entre européens et esclaves dont certains assimilent le répertoire blanc et jouent pour les maîtres. D’autre part, les campagnes d’évangélisation des esclaves qui culmineront à la charnière des XVIIIème et XIXème siècles opéreront le mélange de la transe africaine avec le répertoire des cantiques baptistes et méthodistes dans les Negro Spirituals, expression collective d’une communauté frappée par la similitude de sa situation avec celle des Hébreux de la Bible, esclaves des pharaons dans l’Exode.

Curieusement, le Noir ne sera pas le premier à divulguer sa propre musique au monde, c’est par l’intermédiaire d’interprètes blancs que la musique et les danses des Noirs (leur adaptation, voire leur caricature) vont se répandre aux Etats-Unis, et même en Europe. À partir des années 1820, triompheront à New York et à Londres des spectacles de « minstrels », artistes blancs grossièrement maquillés (blackfaces) et dont le personnage principal, Jim Crow, donnera plus tard son nom pour désigner tout ce qui touche au racisme et à la ségrégation. À partir de 1855, ce sont des troupes noires de minstrels qui se mettront à sillonner les états du Sud. Les « minstrel shows » préfigurent cette production culturelle typiquement américaine qu’est la comédie musicale (spectacles de Broadway, films avec Fred Astaire et Ginger Rodgers, etc.) et seront d’une importance capitale pour l’apparition du jazz et du blues à la fin du siècle.

Ce sont les instruments à cordes qui dominent dans cette seconde moitié du XIXème siècle. Des « string-bands », réunissant guitares, banjos, violons, mandolines, contrebasses jouent une grande variété d’airs à danser, d’airs d’opérettes, de chansons de minstrels dans des fêtes, des manifestations en plein air, des prisons, etc. Alors que, dans les campagnes, des « songsters » (chanteurs noirs de chansons variées), sillonnent les routes, dans les villes, on note la présence de pianistes et d’orchestres noirs qui jouent du ragtime, dont le nom qui signifie « mesure en lambeaux », se rapporte à l’utilisation de polyrythmies venues d’Afrique dans l’interprétation de marches militaires et dont les mélodies syncopées soutenues par des basses régulières sont la principale caractéristique. Certains bluesmen, notamment dans le sud-est, transposeront ces techniques de jeu à la guitare (Blind Blake, Blind Willie Mc Tell).

Plus largement, musiques savantes et populaires, cultures et instruments d’origines diverses vont se côtoyer, de la guitare espagnole à la guitare hawaïenne, en passant par les musiques et les danses des Français de Louisiane, des Celtes irlandais et écossais, des Slaves et des Juifs d’Europe centrale.

Texte : Gaby Bizien / Blues sur Seine. Tous droits réservés