Blues électrique et rhythm & blues

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L’invention de la guitare électrique va changer radicalement la face du blues dans le Chicago des années 1940 où des musiciens du Sud ont élu domicile, transposant le blues rugueux du delta en une musique jouée avec une instrumentation que l’on connaît encore aujourd’hui dans les groupes de rock. Dans le même temps, un blues complètement débarrassé de sa composante sombre émerge dans les villes pour répondre aux besoins de divertissement des nouvelles classes ouvrières noires et leur faire oublier le passé rural sudiste : le rhythm and blues.

Inventée dans les années 1930, la guitare électrique va permettre aux chanteurs de blues de se faire accompagner par un ensemble composé d’une guitare et/ou d’un piano, d’une basse (d’abord contrebasse puis basse électrique à partir des années 1950), d’une batterie et éventuellement d’autres instruments solistes (harmonica notamment). C’est dans le ghetto du South Side que va naître ce blues « moderne » entre les mains de musiciens nés dans le Sud (Muddy Waters, SB Williamson 2…) et attirés par des producteurs visionnaires (Mayo Williams, Lester Melrose puis les frères Chess). D’autres grandes villes accueilleront des figures majeures du blues moderne : BB King à Memphis, John Lee Hooker à Detroit, T-Bone Walker à Los Angeles, Lightnin’ Hopkins à Houston, sans oublier La Nouvelle Orléans (Professor Longhair, Slim Harpo) ni le Zydeco louisianais, seul style de blues où domine l’accordéon (Clifton Chenier). Mais Chicago concentre à cette époque une telle proportion de figures majeures du blues moderne que l’on parlera de « Chicago Blues » pour définir le blues électrique qui y naît pendant la guerre et évolue encore lorsqu’apparaît la jeune génération du West Side dans les années 1950 (Buddy Guy, Freddie King, Luther Allison).

Dans le même temps, l’arrivée du be-bop, de sa complexité musicale, de sa volonté de reconnaissance en tant qu’art à part entière, va éloigner le jazz de sa fonction essentielle, la danse, et de son assise populaire. Pourtant, les besoins en divertissement des populations noires des centres urbains augmentent parallèlement à l’accroissement de leurs moyens financiers. La promulgation par le Président Roosevelt, en 1941 (Pearl Harbor oblige), de l’Executive Order 8802, interdisant toute discrimination dans l’industrie de l’armement et les services de la défense, crée des millions d’emplois pour les afro-américains et amplifie les migrations vers les villes : entre 1940 et 1945, la population noire de Los Angeles (chantiers navals) va doubler.

Ces populations vont vibrer au son du rhythm and blues, mélange de jazz swing, de boogie-woogie et de blues. Ce nouveau style, bien qu’ancré dans les structures musicales rythmiques et harmoniques du blues se veut résolument autre et débarrassé de toute référence à ses origines rurales et aux symboles douloureux associés. Ce sera donc un style dansant, tonique, plein d’humour qui bénéficiera de la reprise fulgurante des ventes de disques à partir de 1945, porté par une myriade de petits labels discographiques indépendants (aux mains de Blancs pour la plupart) dont certains (Savoy, Vee Jay, Mercury, Atlantic) se tailleront un nom dans l’histoire de la pop américaine. Blues shouters de Kansa City (Jimmy Rushing, Big Joe Turner), saxophonistes hurleurs (Illinois Jacquet, Arnett Cobb), walkyries noires (Big Mama Thornton, Etta James), big bands aux sections survoltées (Lionel Hampton, Lucky Millinder), petites formations à l’efficacité redoutable (Louis Jordan, Bill Doggett) seront les figures de proue de cette nouvelle musique qui prendra le nom de « rhythm and blues » en 1949, lorsque le magazine musical Billboard substitua ce terme à celui de « race music » qui était jusqu’alors utilisé pour parler de la musique des Noirs. La création des premières radios noires à partir des années 1940, avec leurs disc-jockeys bateleurs, n’est pas étrangère à ce succès ni à la pénétration des musiques noires auprès des Blancs. Ce n’est certainement pas un hasard si le rock’n’roll naît au milieu des années 1950 dans les studios de Memphis des amours illicites de ce rhythm and blues et de la country music (musique des « Pauvres Blancs » du sud).

Texte : Gaby Bizien / Blues sur Seine. Tous droits réservés