1960 à nos jours : la reconnaissance internationale du blues

1960 à nos jours : la reconnaissance internationale du blues Itinéraires chronologiques

A partir de 1960, la musique noire a été reconnue aux Etats-Unis puis dans le monde entier, le blues a obtenu ses lettres de noblesse, mais a du même coup perdu ce qui faisait sa principale spécificité: son aspect communautaire. Les noirs-américains s’en sont donc éloignés pour créer de nouvelles formes musicales plus identitaires.

La date-clef, marquant la reconnaissance de fait par les blancs de la musique noire est 1963, date à laquelle la séparation du hit-parade en deux (musique noire et musique blanche) est supprimée. Cette date marque en fait la fin d’une évolution, puisque depuis le milieu des années 50, les Blancs ne rechignent plus à acheter des disques de musiciens noirs et préfèrent les versions originales aux succédanés des blancs édulcorés et sans âme (ce que l’on appelait les cover-versions)

Le second aspect de la reconnaissance par les blancs de la musique noire est plus intellectuel. C’est ce que l’on a appelé le Blues Revival, mouvement né dans les années 30 au sein du monde intellectuel de Greenwich Village à New-York et qui prônait un retour aux sources au plan musical, c’est à dire une mise en valeur de la musique acoustique et folklorique. Ce mouvement a éclaté au début des années 60 sur les campus universitaires et a fait découvrir a un public blanc “éclairé” une musique folklorique américaine : le blues rural du delta du Mississippi dont les textes marqués par l’esclavagisme et la ségrégation raciale correspondaient parfaitement aux idéaux socialisant, fraternalistes et contestataires de cette jeunesse blanche. Des artistes comme Bob Dylan, Joan Baez, Buffy Sainte-Marie et Dave Van Ronk s’inscrivent dans ce courant musical folklorique et protestataire. Les oreilles du public noir-américain resteront sourdes à cette reconnaissance par le public blanc “éclairé”.

Le troisième aspect de la reconnaissance par les blancs de la musique noire vient de la vieille Europe où le Rock’n Roll a connu un énorme succès dès les années 50. Les européens ont très vite reconnu la filiation entre le blues des noirs et le Rock des blancs et voulu rendre à la musique noire et aux musiciens noirs l’hommage qu’ils méritaient. Cette reconnaissance européenne culmine dans les années 60 avec “l’American Folk Blues Festival” dès 1962 qui draine un public nombreux et la démarche musicale de nombreux groupes comme Les Rolling Stones, les Beatles, the Animals… qui clament haut et fort que leur musique doit tout au blues des noirs, et qui pour mieux l’affirmer vont jouer dans les clubs de Chicago garants d’une tradition noire du blues. Ils connaissent en 1964-1965 un succès énorme aux Etats-Unis avec des blues adaptés de disques gravés par des interprètes noirs.

Parallèlement à cette reconnaissance par les blancs de leur musique, les noirs-américains s’en sont détachés et ont créé de nouvelles formes musicales de plus en plus éloignées du blues pour mieux affirmer leur identité. Le blues est resté une marque identitaire tant qu’il a été joué par des noirs pour des noirs. Dès qu’il a été reconnu par les blancs aux Etats-Unis et même dans le monde entier au point de connaître depuis dix ans un engouement impressionnant, il a perdu cet aspect ethnique qui lui a donné naissance, si important aux yeux des Noirs-américains. Leur musique ne leur appartenait plus.

Il leur a donc fallu dans les années 60 créer de nouvelles formes musicales pour affirmer leur identité de Noir-américain reconnue par l’Etat américain au cours de ces mêmes années au plan politique après une longue lutte menée par le peuple noir tantôt de manière pacifique (Martin Luther King), tantôt de manière violente (Malcom X et les Black Panthers). Cette reconnaissance politique ne suffisait pas à un peuple pour lequel la musique avait toujours été un moyen d’expression fondamental. Il fallait exprimer cette nouvelle place dans la société américaine par une nouvelle musique. Ce fut fait avec la Soul music, la musique de l’âme (soul) noire-méricaine, qui fait dire à James Brown : Say it loud (dites-le très fort) et le public, enflammé, de répondre : I’m black and I’m proud ! (Je suis noir et j’en suis fier !).

Cette nouvelle musique noire, de Ray Charles, Otis Redding… inspirée du Rhythm’n Blues et des gospels a dès sa naissance été exploitée commercialement et a connu un succès international tout comme, par la suite, toutes les nouvelles formes musicales inventées par les noirs-américains : le Disco, le Funk, le Break, le Smurf, le Rap, etc. Les noirs-américains sont à l’origine de toutes les créations musicales populaires aux Etats-Unis depuis l’après-guerre, le blues, fondement de leur musique commence à être reconnu dans le monde entier à sa juste valeur. Le blues détaché de ses racines ne sera plus jamais ce qu’il a été, mais il est et restera une musique de l’âme humaine, universelle, “avec pour trame fondamentale le sang, la sueur, les larmes, les désirs et les frustrations””. Le calvaire des esclaves noirs en Amérique est aujourd’hui entendu et compris par beaucoup de blancs grâce à cette musique populaire capable d’atteindre une puissance émotionnelle et une profondeur de sentiments exceptionnelles.

Texte : Blues sur Seine. Tous droits réservés