“Prove it on me blues” par Ma Rainey

Attention : certaines paroles de blues et leur traduction peuvent ne pas être adaptées à un travail avec le jeune public.
Extrait de Blues Magazine n°70


Enregistré en 1928 chez Paramount, ce titre écrit et interprété par Gertrude Ma’ Rainey n’est pas à proprement parler un classique du blues connu de tous, même s’il figure parfois dans certaines anthologies du blues. En revanche, sa particularité est d’être un hymne à l’homosexualité féminine, et probablement la première chanson traitant du sujet aussi ouvertement.

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PROVE IT ON ME BLUES
Went out last night, had a great big fight
Everything seemed to go on wrong
I looked up, to my surprise

The gal I was with was gone.

Where she went, I don’t know
I mean to follow everywhere she goes;
Folks say I’m crooked. I didn’t know where she took it

I want the whole world to know.

They say I do it, ain’t nobody caught me
Sure got to prove it on me;
Went out last night with a crowd of my friends,
They must’ve been women. ‘cause I don’t like no men.

It’s true I wear a collar and a tie,

Makes the wind blow all the while
Don’t you say I do it, ain’t nobody caught me
You sure got to prove it on me.

Say I do it, ain’t nobody caught me

Sure got to prove it on me.

I went out last night with a crowd of my friends,
It must’ve been women, ‘cause I don’t like no men.
Wear my clothes iust like a fan

Talk to the gals just like any old man

Cause they say I do it, ain’t nobody caught me

Sure got to prove it on me.

PROUVEZ-LE BLUES
J’suis sortie la nuit dernière, j’ai eu une belle bagarre
Tout paraissait aller de mal en pis
J’ai levé les yeux, à ma grande surprise
La fille avec qui j’étais était partie

Où elle est partie, je sais pas
J’ai l’intention de la suivre partout où elle ira ;
Les gens disent que j’suis déviante. J’sais pas d’où elle l’a
récupérée
Je veux que le monde entier sache

Ils disent que je l’fais, personne ne m’a attrapé
Sur qu’il faudra qu’ils le prouvent ;
J’suis sorti la nuit dernière avec une foule d’amies
C’était bien sûr des femmes, parce que j’aime pas les hommes

C’est vrai j’porte un col en dur et une cravate
Ca fait du foin tout le temps
N’avez-vous pas dit que j’le fais, personne ne m’a attrapée
Vous aurez surement à le prouver

On dit que je l’fais, personne ne m’a attrapée
Bien sur qu’ils auront à le prouver

J’suis sorti la nuit dernière avec une foule d’amies
Ce devait être des femmes, parce que j’aime pas les hommes
J‘porte mes vêtements juste avec fierté
J’parle aux filles comme n’importe quel homme mur

Parce que ils disent que je le fais, personne ne m’a jamais
attrapé,
vous aurez bien sûr à le prouver

La « mère » du Blues a toujours revendiqué sa bisexualité. Au sommet de sa carrière, elle n’a donc pas hésité à choquer ses compatriotes en écrivant et chantant un texte à la première personne, où elle revendique le droit à une sexualité différente. Elle se serait inspirée d’une de ses amantes pour brosser le portrait du personnage. Cette période de l’entre-deux guerre était beaucoup moins convenue qu’on peut même l’imaginer aujourd’hui. Elle ne fut pas non plus la seule chanteuse de Blues à se faire le chantre de l’homosexualité féminine, il faut citer Lucille Bogan avec Women Won’t Need No Man (1927) et B.D. Women Blues (1935).

Ce morceau regroupe trois aspects provocants pour l’époque. Tout d’abord, la pochette du disque où l’on volt Ma’ Rainey habillée en homme portant chapeau, petit gilet et cravate qui aborde deux femmes dans la rue au nez et à la barbe d’un policier. Le texte qui accompagne cette pochette lève l’ambigüité si elle existait. La Paramount profite de la notoriété de Ma’ Rainey et la possibilité d’un scandale pour attiser l’intérêt du public et ainsi vendre un maximum de disques. Le titre est une provocation en lui-même, Prove It On Me Blues que l’on peut traduire par Prouvez-le, met eu défit les autorités de démontrer qu’elle est homosexuelle. Ce sentiment d’être intouchable et cette façon d’affirmer ses convictions se retrouvent chez de nombreux artistes au sommet de leur gloire. Le texte lui-même est une troisième provocation. Ici, pas de métaphores pour parler de la préférence sexuelle, elle affirme ne pas aimer les hommes, être amoureuse d’une fille (gal diminutif de girl), de ne sortir qu’avec des femmes et s’habiller en garçonne et l’assumer.

Le texte est construit de façon classique et explicite. Seules trois expressions méritent quelques précisions, La première, crooked, a généralement deux acceptations : courbé ou escroc. Dans le contexte, c’est par un amalgame des deux qu’on s’approche du signifiant, à savoir, quelqu’un qui n’est pas dans la norme et ne fait pas preuve de droiture morale. La seconde, make the wind blow all the while, montre que sa façon de s’habiller entraîne une de tempête. Et la troisième, like a fan, n’est pas à prendre au premier degré, comme un ventilateur ou comme un supporter, mais plutôt comme quelque chose assumé pleinement, avec fierté.

Texte : Patrice Gandois / Blues Magazine. Publié avec l’aimable autorisation de Blues Magazine. Tous droits réservés.

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par Patrice Gandois

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